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Noémie Monier, Mars 2017

L’encre de chine et le papier sont les outils de prédilection que Leïla Rose Willis emploie. Médiums humbles et accessibles, ils deviennent vecteurs d’immédiateté pour fixer son environnement, comme en instantané, dans un acte qu’elle décline pour peu à peu se déployer et coloniser l’espace. Cette première technique s’avère être le point de départ d’une véritable exploration plastique.

Les œuvres de Leïla Rose Willis ont la beauté d’une évidence. C’est la simplicité d’un geste, humble, quasi anecdotique, piochant dans ce qui est là, à porté d’œil et de main. Simplicité apparente qui donne à l’image son ampleur, sa puissance. Sa persistance. Cette image qui semble avoir toujours été là quelque part, en nous, suspendues entre le songe et la veille. Leïla Rose Willis l’a cueillie et couchée sur le papier ou érigée dans l’espace.
Ce sont les architectures bancales de ses Achikochi (2009-2010) dont l’aspect tarabiscoté s’étend à ses paysages Insulaires (2011). Ce sont les motifs naturels microscopiques qu’elle capture dans des gouttes d’eau : forêt vierge (Landscape, 2008), palmiers (Landscape II, 2010), volcans (ùt, 2014). Ce sont les extraits de végétation de Dark Matter (2015) comme échappés de la fresque Enez Eusa (2012).
Ses représentations du monde sont des ilots flottants dans un espace blanc, des échantillons en noir et blancs isolés (Land of the Lost, 2013) ou délicatement mêlés à des motifs décoratifs. Comme dans la série de volcans Eldur (2013) ou dans les collages de papier Terra Incognita (2012).

Le collage est un des gestes qu’elle applique au papier pour mettre à mal sa planéité, créer le relief, trouver la verticalité : trouer, gratter, découper. Accrocher, et faire d’un paysage une cascade mousseuse (Enez Eusa). Plier, et acérer le papier pour en faire une arme blanche (Arrow, 2013), ou pour l’ériger en sentinelle (Kamikaze, 2015).
Leïla Rose Willis voyage et s’imprègne des cultures pour mieux injecter dans son travail les techniques et les formes traditionnelles qui lui sont transmises. De son voyage au Japon elle revient avec le goût des origami, à partir desquels elle conçoit plusieurs installations. La grue, qui est le pliage élémentaire des japonais, apparaît dans deux d’entre elles. Blanche et fragile dans H (2006), une piste pour hélicoptère installée à Hiroshima, où elle est démultipliée en une gigantesque série de formats minuscules. Noire (transgression absolue aux yeux des japonais) et présentée dans une formation aux allures agressives, voire guerrières, dans un format beaucoup plus imposant pour Petròleo (2010). Ces deux installations sont porteuses des préoccupations politiques qui apparaissent implicitement dans nombre de ses pièces, incarnant la volonté d’user à cet égard de ressorts plus poétiques qu’idéologiques.
L’importance que Leïla Rose Willis accorde aux techniques artisanales apparaît aussi au travers des objets qu’elle fabrique. La série d’origami grands formats Hunter (Chasseur – 2013) en est la parfaite illustration : cette technique japonaise est utilisée afin d’évoquer certains objets rituels des peuples amérindiens (coiffe, amulette). Ce personnage du chasseur semble prendre en charge une nécessité combattive, et s’inscrit ainsi dans un ensemble de figures totémiques. Si le travail de Leïla Rose Willis n’est pas à proprement parler narratif, il n’en est pas moins peuplé de personnages archétypaux. Dont la Sirène serait reine.

La nature est omniprésente dans cette œuvre parsemée de volcans, de cascades, de vagues et de palmiers, où le minéral est aussi luxuriant que le végétal dans ces paysages que l’homme a déserté. De l’exploration des jungles lointaine aux promenades mélancoliques sur les plages bretonnes, c’est à la mer que Leïla Rose Willis est le plus attachée. Et c’est presque au sens propre qu’il faut l’entendre, à en croire la récurrence des analogies entre cordage, mer et chevelure (Boutes, 2014 ; Avec Vents et Marées, 2014 ; Nautical, 2015). En 2016, répondant aux cadres de productions In situ elle imprime la silhouette de tous les poissons pêchés avec l’encre d’une seiche (Gyotaku) lors d’une résidence en mer sur le BOAT ; elle participe à la fabrication collective de planches de surf en bois lors du workshop « Surfer un arbre »; elle commence aussi une cueillette de sel (Seaside Residence), prolongeant les premières expérimentations de culture cristalline amorcées dans la série The salt in your eye (2015).

L’une des dernières installations réalisée par Leïla Rose Willis est un ensemble de filets de pêche tressés avec des mèches de cheveux naturels, qui une fois accrochés composent un paysage marin. Un piège panoramique pour imaginaires chimériques, dans lequel il est bon de se laisser tomber.
Noémie Monier est critique pour Le châssis.