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Démarche

J’opère tel un sismographe.
Sensible à l’impermanence des choses, mes productions, dessinées ou sculpturales, sont le fruit de paysages éprouvés physiquement et de réflexions directement liées à mes sensations. Elles traduisent des organismes et des rythmes plutôt que des représentations du monde.
J’aborde les thèmes du paysage, de l’insularité, du littoral, ou de la frontière à travers la répétition d’un geste ou d’un mouvement, dans une constante recherche du trait, faisant écho au langage, à l’écriture. En filigrane, la présence humaine fait surface à travers l’architecture ou à travers les conséquences de ses actions, tout en étant toujours traités de façon sensible et poétique.
Les formats se déploient à échelle humaine, en rapport direct avec la main. Préoccupée par des questionnements écologiques, et influencée par l’Arte Povera, je favorise l’utilisation de matériaux légers, recyclables, périssables. Je les détournes de leur usage premier pour créer des paysages ou des énigmes proches de l’abstraction. Le spectateur est invité à une promenade mentale, poétique ou critique, se déployant sur plusieurs strates de lecture.
Néanmoins l’eau reste le fil conducteur de ma démarche, l’élément métabolique faisant résonner l’homme avec le paysage. Elle matérialise la circulation des idées, des savoirs, des échanges; multiplie les points de vue. Son mouvement incessant se marie à celui de ses errances, et reflète une quête de soi.

« Comme une eau, le monde vous traverse et pour un temps vous prête ses couleurs. Puis se retire, et vous replace devant ce vide qu’on porte en soi, devant cette espèce d’insuffisance centrale de l’âme qu’il faut bien apprendre à côtoyer, à combattre, et qui paradoxalement est peut-être notre moteur le plus sûr. » (Nicolas Bouvier).

Cette quête se cristallise dans la forme de l’Ile, échantillon de paysage à la fois isolé et relié par l’eau. Lieu de prédilection des utopies humaines, l’île est aussi métaphore de l’individu. « L’ile est l’origine, mais l’origine seconde. A partir d’elle tout recommence. L’ile est une montagne marine, la montagne, une ile encore sèche. voilà la première création prise dans une recréation. » (Gilles Deleuze).

«A dire vrai l’artiste ne pense pas, si par le mot « penser » l’on entend l’élaboration d’un enchaînement de concepts. En lui la pensée naît du contact avec la matière qu’il forme, comme quelque chose d’auxiliaire, comme l’exigence d’une forme en train de naître: il s’agit de réussir l’oeuvre, de la rendre apte à vivre, ce n’est pas de vérité qu’il s’agit. Mes « pensées » se formaient en même temps que mon oeuvre, dans une symbiose quotidienne avec le monde, qui, lentement, se révélait.»
(Gombrowicz, « Testament »).